"Vous êtes venus pour Le Pont des espions ? C'est par ici la visite !"

Publié le par Chippily

Voilà ce que j'ai ressenti en allant voir le dernier Spielberg...

Voilà ce que j'ai ressenti en allant voir le dernier Spielberg...

Le parquet grince un peu sous les pieds. Dans la lumière du jour, il y a des petites particules de poussière qui tombent doucement. "C'est là !", lance le guide en pointant du doigt une oeuvre.

On se rassemble devant dans le silence - enfin, on essaye, le sol du musée craque vraiment très fort. Les petits devant, les grands derrière, et tous avec les yeux écarquillés, dans un moment de contemplation béate.

Le guide se racle la gorge. Puis, esquisse un grand sourire, et, parcourant des yeux le groupe : "Alors, qu'est-ce que vous en pensez ?" Silence. Une dame avec des lunettes de soleil de soleil sur la tête et une caméra à la main se lance. "C'est très beau." Approbation de la foule. Ca lui donne du courage, elle continue. "Cette lumière... Ces contrastes... C'est très travaillé. Non, vraiment, c'est très beau."

Un Monsieur avec un bob sur la tête : "Il y a beaucoup de mouvements de caméra, non ? De travellings ?" "Exactement !" répond le guide, tandis que le Monsieur jubile et coule un regard satisfait vers sa femme. "Regardez moi ce travelling tout en douceur, cette caméra, tout en mouvements amples, qui se rapproche de l'acteur... Sans compter sur cette ouverture au noir sur Tom Hanks en plan serré ! Non, Madame, pas de photos, voyons, le flash risquerait d'abimer l'oeuvre. Vraiment, on n'en fait plus, de cinéma pareil."

Le groupe approuve : ah bah oui, ça, c'est bien vrai ! Que des trucs de super-héros et de machins en images de synthèse qu'ils nous sortent de nos jours, au cinéma ! "Et l'histoire ? demande un Monsieur. L'histoire de ce... (il plisse les sourcils pour déchiffrer l'écriture sur le petit bloc doré posé à côté de l'oeuvre) Pont des espions ?"

"Vous êtes venus pour Le Pont des espions ? C'est par ici la visite !"

"Là aussi, une histoire comme on n'en fait plus ! lance le guide en faisant de grands gestes. C'est un avocat américain très intelligent, Tom Hanks, qui, en pleine Guerre froide, est choisi pour défendre un homme indéfendable : un espion russe infiltré aux Etats-Unis. Mais, j'y pense : quelqu'un est-il déjà venu et l'a déjà vu ?"

Une vieille dame lève un doigt hésitant. "Comment l'aviez-vous trouvé ?" "Euh... Très bien." "L'histoire vous avait plu ?" "Ah, oui oui." "Qu'est-ce que vous avez bien aimé ?" "Euh... Le côté historique. Avec ces gentils Américains qui défendent la paix et ces Russes...pardon, ces Soviétiques horribles, qui torturaient les gens." Un Monsieur maugrée. "Sale époque." On hoche vigoureusement de la tête à côté de lui.

Le guide lève les yeux vers l'assistance. "J'ai parlé de la technique, mais c'est vrai que l'histoire est tout aussi remarquable : cette envie de traiter avec objectivité - je vous rappelle que c'est d'après une histoire vraie - la grande Histoire, cette limpidité... Et puis, la droiture de ce personnage... Ce n'est pas comme aujourd'hui où les héros doivent toujours être "torturés" et où il faut un bac + 18 pour comprendre un film !" Petit rire de l'assistance. 

"Vous êtes venus pour Le Pont des espions ? C'est par ici la visite !"

Le guide regarde sa montre. "Oh, je vois qu'il faut qu'on avance. Nous n'aurons pas le temps aujourd'hui, mais si vous avez aimé "Le Pont des espions", je vous invite la prochaine fois à étudier cette oeuvre qui est en face, "Lincoln". C'est par le même artiste et c'est de la même qualité. Maintenant, je vous propose de passer à la salle suivante."

Le groupe se met en branle doucement. Une main agrippe la manche du guide. C'est la vieille dame. "Excusez-moi, mais je n'arrive pas bien à lire, c'est écrit en tout petit. Quand Le Pont des espions est-il sorti ?" Le guide se penche vers le petit écriteau doré. Il a un petit mouvement de surprise. Silence. "C'est sorti il y a une semaine", il murmure.

La dame le remercie et s'en va. Le guide reste quelques secondes interdit, puis secoue la tête et rejoint à grands pas son groupe. Une dame s'attarde dans la salle, l'air perplexe, devant un buste en marbre où il est écrit "Steven Spielberg". "Excusez-moi, fait-elle au guide. Mais... Il est mort ?" "Non non, bien sûr que non", fait le guide dans un petit rire, qui se finit en quinte de toux. "Excusez-moi, c'est un peu poussiéreux ici."

Et ils partent de la salle, le guide fermant précautionneusement derrière lui la porte où est accroché un grand panneau : "Art académique".

Publié dans N'ImpS !!!

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Magnifique article ! Tu parles du film et du mouvement dans lequel il s'inscrit avec délicatesse, sans éloge mais avec beaucoup de respect pour le travail accomplit par Spielberg. Chapeau !
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