Connaissez-vous le "Husbands" féministe et norvégien ?

Publié le par Chippily

Connaissez-vous le "Husbands" féministe et norvégien ?

1972. Une jeune Norvégienne aux cheveux noirs prend place dans une salle de cinéma parisienne. Ce jour-là, on projette "Husbands", de John Cassavetes, l'histoire de trois amis qui décident de plaquer femme et enfants après l'enterrement de leur pote pour partir sur un coup de tête à Londres. La jeune Norvégienne n'en perd pas une miette. Quand elle sort de la salle, plus de deux heures après, une question la taraude...

2015. Dans "la salle de rencontres" du Théâtre national de Bretagne, un rayon de soleil éclaire le visage de la réalisatrice norvégienne Anja Breien, qui se souvient. "Je me suis dit : si des femmes avaient fait la même chose que ces hommes-là, elles auraient eu mauvaise conscience dès le premier jour de leur départ, non ?"

Saut d'obstacles de lapins et jambe baladeuse

Invitée pour participer au festival Travelling Oslo de Rennes, Anja Breien, prix oecuménique à Cannes pour "L'Héritage", est venue présenter quelques films. Par exemple ce court-métrage où elle parle de l'art de "chewing-gumer" (mais aussi de saut d'obstacles de lapins et d'un militaire auquel on a volé une jambe) (oui je n'ai pas tout compris). Ou cet autre où elle passe lentement les photos réalisées par son aïeule, photos sur lesquelles sa famille déploie déjà un art de la mise en scène (glacé) dans des paysages de fjord. Mais surtout sa trilogie à elle, "Wives", qui reprend, en l'inversant, le concept de Cassavetes : trois femmes, trois amies, épuisées par le quotidien, se barrent.

"On avait commencé par une pièce de théâtre, "La Loi des filles", se remémore la cinéaste. On faisait des pièces, puis on demandait l'avis du public. Il y avait une sorte de bataille à ce moment là sur les droits des femmes. Je pensais qu'on avait besoin de ce film. Alors, j'ai rédigué 15 pages de synopsis, je les ai montrées à un producteur et on m'a dit oui."

Connaissez-vous le "Husbands" féministe et norvégien ?

Harcèlement de rue (inversé)

Le film sort en 1975, en plein boom de la libération de la femme. Les Norvégiennes l'adorent, une vingtaine de pays se montre intéressée pour l'acheter... Un phénomène qui aura deux suites, toujours avec les mêmes personnages, en 1985 et 1996, et qui suivra à chaque fois les problèmes rencontrées par les femmes à cette époque.

Pour comprendre ce succès, je prends place dans la salle de cinéma pleine à craquer du Théâtre national de Bretagne pour le premier opus. Le schéma narratif du film est archi-classique : les trois héroïnes, Mie, Kaya et Heidrun, à la vie apparemment parfaite vont, au fil de leurs pérégrinations, faire apparaitre leurs blessures. 

Mais il souffle un vent de révolte dans ce film : les filles se promènent tranquillement nues, vont aux toilettes (oui on entend tout)(et oui, elles continuent de parler, même dans cet endroit)...  Et le fameux harcèlement de rue, que certaines personnes nient encore aujourd'hui en France, est déjà détourné (ici, ce sont les femmes qui font la loi).

La tricheuse de la Fémis

"Que des femmes puissent faire la noce et s'éloigner de leur mari et enfants pendant plusieurs jours constituait un sujet à controverse", note Jan Erik Holst, historien du cinéma et ancien directeur de l'Institut du film norvégien.

Film gonflé pour réalisatrice gonflée, qui déclare, entre deux rires, avoir triché pour intégrer la Fémis en 1962. "Pour le concours, on devait rédiger un synopsis de film sur le thème : une gare déserte. J'ai repensé à une histoire passée à la télé norvégienne, avec une troupe de théâtre qui répète en attendant son train. Je me suis dit qu'aucun Français ne connaissait ce film. Alors je l'ai résumé... et j'ai été accepté. J'ai même eu la meilleure note !"

2015 toujours. La master-class touche à sa fin. La salle est inondée de lumière. Je demande, citant une détenue ayant vue le film : "Elle a dit : les vêtements et les coiffures ont changé, mais les problèmes, eux, restent les mêmes. Vous êtes d'accord ?" Anja Breien ne comprend pas, répond à côté : "Certains hommes n'ont pas aimé le film. Celui avec les gants de cuisine (dans Wives I) n'a pas voulu revenir." La séance se cloture sous les applaudissements. Je me rapproche de la cinéaste, repose ma question. Elle ne réfléchit pas longtemps. "La situation a évolué, mais certaines choses restent les mêmes. Si je devais faire un quatrième "Wives", alors je filmerais des immigrées. Ce sont elles qui ont le plus de problèmes aujourd'hui."

Publié dans HoRs-cHaMp

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